La bonne heure !

La bonne heure !

Pour rester avec notre petit poisson (cf. métaphore : L’aquarium ou l’océan), je vous propose ce texte de Christiane Singer, extrait de son livre « N’oublie pas les chevaux écumants du passé ». J’ai lu ce livre il y a quelques années, j’avais relevé déjà ce passage, mais il ne me parlait pas autant qu’il peut le faire aujourd’hui. C’est pourquoi je souhaite le partager avec vous et vous invite à vous laisser flotter au rythme de ces mots, au rythme des vagues qui vous traversent, pour simplement laisser émerger ce qui est là, au plus profond de vous.

Le jeune poisson de la légende hindoue qui demande « Où est la mer ? Tout le monde en parle et je ne l’ai jamais vue » nous offre la clé de la révélation. Si je cesse de demander « Où est le bonheur ? », c’est par un semblable effet de renversement métaphysique : j’ai compris que j’y nageais, non pas compris avec l’intellect mais avec les écailles et les nageoires. J’ai compris que la bonne heure est chaque heure et que d’aucune heure on ne peut dire qu’elle n’est pas la bonne. « J’étais dans un trou… mais cela n’a pas d’importance, les tours ou les bosses ! L’amour peut faire sa joie de tout ! »

[…]

Ainsi, aujourd’hui où la mélancolie me tient depuis l’aube, je sais que je vis un(e) bon(ne) heur(e) de mélancolie. Comme je pourrais vivre aussi un(e) bon(ne) heur(e) d’agrément ou même un(e) bon(ne) heur(e) de maladie ou de deuil. C’est un(e) bon(ne) heur(e) parce que je la soulève dans mes bras. Je la prends à moi.

Je ne la laisse pas à l’abandon. Je sais que, laissée à elle-même, elle garderait ce ton gris des matériaux de construction oubliés sur un chantier et pèserait des tonnes. C’est l’accueil que je lui fais qui la transforme.

C’est mon accueil qui en fait un(e) bon(ne) heur(e). Un(e) bon(ne) heur(e) de mélancolie. La transformation ne peut commencer que là où j’acquiesce. Comment dis-tu ? Je t’ai mal compris ? C’est de bonheur que je dois te parler, pas d’une heure de mélancolie.

Laisse-nous encore dériver. Nous ne sommes pas encore assez égarés. La poursuite du bonheur est dérisoire.

Voilà le poisson en quête de la mer : « Avez-vous vu la mer ? » Il est émouvant. Dérisoire et émouvant. Il nage comme un fou, de plus en plus vite, de plus en plus loin.

« Avez-vous vu la mer ? » Il la cherche au milieu de récifs de corail, dans les taillis d’algues violettes, dans les gouffres bleus, dans les fonds glauques. Il va là où personne encore n’est allé.

« Avez-vous vu la mer ? » Jusqu’à l’instant où, à l’entrée d’une grotte, une pieuvre bienveillante vient à son secours.

« Ne cherche plus ! Tu y es ! »

Ce dénouement n’est-il pas la pire épreuve ? Est-il message plus dégrisant que cette petite phrase : « Tu y es » ?

Jamais tu n’y as pas été, jamais tu n’en seras plus proche que tu ne l’as toujours été ! Jamais plus proche qu’en chaque instant de ta vie passée et à venir…

Mais alors, comment as-tu (comment ai-je) pu fabriquer tant de malheur, tant d’éloignement, d’égarement, de dérèglement, d’errance, de criante solitude ?

Ne peut-elle rendre fou, cette révélation que cela qui est là en permanence et en abondance autour de moi est cela même qui me manquait si cruellement, qui me paraissait si impossible à rejoindre ?

Et si la mer est vraiment ce qui est là partout, ce dans quoi je nage depuis le début, il n’y aura donc pas de rencontre, pas de face-à-face, pas d’enlacement, pas de corps à corps.

Nul ne sera en mesure de s’emparer d’elle, d’en faire son glorieux butin. Il n’y aura plus de héros, plus de Prométhée voleur de feu !

Elle est ! Voilà tout. Je ne l’aurai donc jamais. Jamais elle ne m’appartiendra. La vielle pieuvre ajoute : « Ne sois pas déçu, jeune poisson ! Elle t’enveloppe en cet instant. Sens sa voluptueuse caresse le long de ton corps fusiforme, de tes ouïes, de tes branchies, à chaque battement de tes nageoires, à chaque palpitation de tes barbillons… »

A-t-il entendu ?

Voilà. Chaque heure est la bon(ne) heur(e).

Même ta toute dernière. Tant que tu attendras qu’il t’arrive bonheur et que ce bonheur se tienne devant toi avec ses cadeaux et ses oripeaux, tu n’entendras ni le vent dans les branches dehors ni en toi le souffle lent qui te visite, inspir… expir… : son vrai langage et sa petite musique.

la bonne heure

 

 

Pour suivre les articles de ce blog, je vous invite à vous inscrire à la newsletter :

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *